Sanitioso, R. Bo (2012-2015) : Participation dans une équipe partenaire au Projet « Fiction dans l¹émotion », ANR EMCO, (Coordinateur : J. Pelletier, coordinatrice : P. Piolino). Partenaires : IJN Institut Jean-Nicod, LPNCog Laboratoire de Psychologie et Neuropsychologie Cognitives.

 Les fictions, qu’elles impliquent des images, romans, pièces de théâtre ou films, suscitent de riches expériences émotionnelles auprès d’un large public. Depuis près de quarante ans, les philosophes de l’esthétique se confrontent au «paradoxe de la fiction», qui concerne les conditions de notre implication émotionnelle avec des personnages et événements de fiction. Quelle est la nature de la joie ou de la tristesse quand elle n’est pas liée à une personne ou à un événement réel? FICTION s’inscrit dans ce débat avec le projet de comprendre la nature de nos réponses émotionnelles ainsi que leur relation avec l’arrière-plan cognitif.

Des éléments empiriques attestent que l’engagement dans la fiction est associé à un désengagement ou inhibition du système épisodique au niveau des structures limbiques comme l’hippocampe, un système à la base des expériences épisodiques (la mémoire d’événements personnels ou la projection de soi-même dans le futur), au bénéfice d’autres régions cérébrales impliquées dans des processus sémantiques comme les régions fronto-temporales. En outre, le système épisodique est un composant essentiel des réponses émotionnelles concernant des personnes et événements réels. Sur cette base, notre hypothèse principale, qui doit être évaluée à la fois aux niveaux conceptuel et empirique, est que les réponses émotionnelles liées à des scènes fictionnelles identifiées comme telles relèvent de ce que nous appelons les «émotions sémantiques», une espèce d’émotions à distinguer des émotions de la vie réelle. Selon nous, les «émotions sémantiques» sont des expériences émotionnelles désengageant le système épisodique et centralement modulées par des circuits sémantiques (d’où notre terminologie). Nous faisons l’hypothèse que des «émotions sémantiques» sont déclenchées par des scènes fictionnelles reconnues comme telles.

Au niveau conceptuel, FICTION va contribuer à la fois à la philosophie générale de l’esprit et à l’esthétique. Tout d’abord, FICTION se focalisera sur la thèse selon laquelle les «émotions sémantiques» constituent une espèce naturelle psychologique. FICTION évaluera l’hypothèse que, bien que les «émotions sémantiques» soient caractérisées, au niveau infra-personnel, par un désengagement ou une inhibition du système épisodique, ce sont des expériences uniques au niveau personnel. En second lieu, les conséquences de cette thèse en esthétique philosophique seront explorées, en établissant un pont entre les débats sur le rôle du soi dans l’interaction avec les fictions et sur la nature des réponses émotionnelles à la fiction.

Au niveau empirique, FICTION élaborera des protocoles en psychologie expérimentale et en neurosciences pour comprendre les processus à la base des réponses émotionnelles liées aux scènes fictionnelles et aux scènes analogues non-fictionnelles, ainsi que le rôle de la prise de conscience de la nature fictionnelle ou non des scènes dans ces processus. En exploitant les possibilités de SenseCam, un appareil photographique portable digital, FICTION va recréer en laboratoire les conditions d’encodage émotionnel. FICTION exposera des sujets portant SenseCam à des clips de scènes fictionnelles ou non, de valences émotionnelles variées. FICTION étudiera l’impact du contenu fictionnel sur le processus émotionnel et les corrélats neuronaux des “émotions sémantiques” en menant une étude en IRMf afin de mesurer les réseaux cérébraux activés en réponse aux images encodées et rediffusées.

FICTION est le premier projet scientifique à mettre en avant et à opérationnaliser l’hypothèse des “émotions sémantiques”, et à concevoir comme « sémantiques » au moins certaines des émotions suscitées dans des contextes fictionnels. FICTION a des implications à grande échelle car son hypothèse concerne de vastes populations qui, au contact des fictions, apprécient d’être plongées dans des « états sémantiques » émotionnels variés sans payer le prix épisodique neural associé aux états analogues non-fictionnels.

À lire aussi