Axe 2 : Régulation au niveau du soi social

Pour répondre à des exigences/contraintes, mais également à des opportunités de son environnement social, un individu peut y agir en tant que membre d’un groupe, d’une communauté ou d’une société et déployer aussi bien ses ressources propres (cf. axe 1) que ses ressources collectives. Ce second axe concerne plus particulièrement les processus affectifs, cognitifs, et comportementaux qu’un individu en tant que membre d’un groupe (ou d’une société) mobilise afin de répondre à des menaces/exigences/opportunités. Ceci peut impliquer le déploiement de ressources collectives ou groupales dont il dispose telles que des cognitions partagées (e.g. stéréotypes), des soutiens sociaux, des relations intergroupes existantes, des identités sociales favorables, etc. Les objectifs à atteindre peuvent inclure le maintien d’une identité sociale positive, le maintien du statu quo, l’apaisement des relations intergroupes, le bien-être social (e.g. le vivre ensemble), etc.

En psychologie sociale, ce type d’adaptation collective et sociétale est étudié principalement dans le cadre de deux approches. L’une met l’accent sur la fonction mobilisatrice des appartenances sociales (cf. identité sociale positive), l’autre sur le fonctionnement collectif (cf. dynamique des groupes). En effet, membre d’un groupe, d’une communauté, d’une société, assigné-e-s à une catégorie sociale, nous réagissons en tant que tel en répondant à une multitude d’incitations, de contraintes ou d’opportunités de la vie sociale. Les enjeux sociaux, les positionnements culturels et idéologiques, les relations intergroupes dont les rapports de domination, créent des contextes spécifiques qui dépassent l’individu et marquent fortement ses croyances et ses comportements. Réunis en groupe ou en tant qu’observateurs concernés par ses décisions ou actions, interdépendants dans l’atteinte d’un objectif commun, nous visons une meilleure productivité, davantage « d’objectivité » de nos jugements en nous ajustant plus ou moins bien les uns aux autres. Les dynamiques collectives ainsi mises en place servent en grande partie à valider socialement ou justifier nos positionnements et/ou nos actes.

Nos projets de recherche renvoient à ces deux approches avec une prépondérance de la première. Ils visent l’examen des phénomènes sociétaux qui marquent notre époque, correspondant à la régulation et la gestion au niveau du Soi collectif :

« Individu et groupe : Légitimation et radicalisation idéologique ». Ces recherches concernent principalement les processus de régulation et leurs conséquences chez les individus (en tant que membre d’un groupe ou d’une société) pour maintenir une perception favorable de son groupe d’appartenance ou pour faire face à une menace liée à leur identité sociale.

Les individus vivent dans une société souvent inégalitaire (i.e., dans un ensemble de systèmes qui organisent la supériorité hiérarchique de certains groupes sociaux sur d’autres). La théorie de la justification du système (Jost & Banaji, 1994 ; Jost & Hunyady, 2005) postule qu’ils sont néanmoins motivés à considérer cette société comme plutôt juste. Ainsi, les arrangements sociaux sont-ils perçus comme équitables, légitimes, et naturels. Cette théorie ajoute donc à la motivation à la justification du soi (i.e., une recherche d’estime de soi positive et la justification de ses propres actions) et à la motivation à la justification du groupe (i.e., une recherche d’identité sociale positive et la justification des actions du groupe auquel nous appartenons), une motivation à justifier le système (i.e., une perception positive du / des systèmes dans lequel/ lesquels nous vivons, et la justification du fonctionnement de ces systèmes). Cette motivation à justifier le système nourrit des besoins épistémiques (i.e., réduction de l’incertitude, perception de contrôle), existentiels (i.e., besoin de sécurité) et relationnel (i.e., besoin d’appartenance, réalité partagée ; Jost, Gaucher & Stern, 2015). Pour les membres de groupes de faible statut les trois motivations (à justifier le soi, le groupe et le système) sont inconsistantes, et ce conflit est susceptible de les conduire à une intériorisation de leur infériorité sociale (e.g., intériorisation des stéréotypes les concernant).

Nos recherches se focalisent sur ce processus de légitimation des inégalités chez les membres de groupes défavorisés (e.g., activation vs inhibition des buts liés au groupe vs. au système) y compris dans leur aspect développemental (e.g., chez les adolescents), les idéologies mobilisées pour parvenir à cette légitimation (e.g., stéréotypes de genre concernant les compétences ou le type d’intelligence, préjugés, méritocratie, maternage intensif, etc.), les contextes dans lesquels il est plus susceptible d’apparaître (e.g., la plus ou moins forte dépendance au système pour obtenir un certain nombre de ressources) et ses conséquences en termes de perception de soi, de mémoire autobiographique, de comportements et de performance chez les membres issus de groupes défavorisés par le système. Le contexte d’étude est principalement celui des inégalités scolaires/académiques entre femmes et hommes, même s’il est également envisagé de développer des travaux concernant les classes sociales, voire dans une perspective inter-sectionnelle (e.g., femmes issues de classes sociales défavorisées).

La tendance des individus à percevoir la société dans laquelle ils évoluent comme un système juste et contrôlé ainsi que la croyance associée selon laquelle chaque groupe doit trouver sa place dans ce système, peuvent constituer un terrain fertile à l’apparition d’idéologies extrêmes et l’adoption par les individus d’idées politiques radicales qui peuvent encourager la violence. Ainsi, la radicalisation comme réponse aux événements qui menacent l’identité sociale d’un individu constitue un autre sujet de recherche que nous envisageons.  Comme nous l’avons déjà évoqué dans le cadre de Axe1, le processus de radicalisation peut être défini comme une réponse à une perte de sens, un sentiment d’aliénation, d’humiliation, d’incertitude ou de menace lié à l’identité personnelle ou sociale (Kruglanski, et al., 2014 ; McGregor, et al., 2015). Dès lors, on peut penser que la mobilisation d’une identité collective fait également partie des nombreux facteurs de légitimation et/ou d’exécution d’actes violents intervenant à l’issue du processus de radicalisation idéologique. Notamment dans le cadre de relations conflictuelles entre différents groupes sociaux, ceci afin de défendre ou de restaurer l’image de l’endogroupe. Dans le cadre de ces recherches, nous examinerons donc le processus de radicalisation comme une réponse à une menace liée à l’identité sociale de l’individu.

Des individus ou groupes d’individus actifs qui revendiquent le partage de ces mêmes sentiments  vont permettre à l’individu de palier à l’anxiété générée par des menaces identitaires et de perte de signification sociale en lui proposant des lignes de conduite concrètes, une vision manichéenne des relations interpersonnelles et/ou intergroupes et des justifications idéologiques pour réduire la dissonance cognitive qui peut apparaître entre les valeurs universelles qui encouragent des relations sociales harmonieuses et les actes moralement répréhensibles que ces individus ou ces groupes sont susceptibles d’encourager.

S’ajoute à ces processus de traitement d’information sociale, la question de la validation sociale et, en particulier, de la validation par le consensus. En effet, les recherches que nous envisageons dans cet axe, qu’elles mettent l’accent sur les affects, motivations, et cognitions impliquent non seulement le processus d’évaluation de la situation qui est fondamental pour toute adaptation et régulation, mais également de sa validation. Pour s’orienter dans leur environnement, agir, les individus ne se contentent pas de construire et de partager quotidiennement des connaissances, ils sont aussi concernés par la validité qu’on peut accorder à ces connaissances. Comme l’a dit Higgins (1999), tant qu’un point de vue n’est pas partagé, il a, vu son caractère subjectif, comme un défaut de réalité. La question sur comment les gens arrivent-ils à construire et à partager avec les autres une perception stable, sûre et valide de la réalité est parmi les plus anciennes de notre discipline. C’est aussi la question parmi les plus pertinentes pour nos sociétés, notamment par rapport à la pratique de la démocratie.

Ainsi, sur un plan plus général, en nous basant sur des travaux plus ou moins récents de psychologie sociale et sur nos recherches antérieures, nous souhaitons apporter quelques éléments de réponse à la question sur les formes, mais également sur les effets de l’adaptation collective. Si l’adaptation collective quotidienne nous amène plutôt à maintenir le statu quo qu’à le changer, sous quelles conditions, dans quels contextes, favoriserait-elle le changement ?

« Emotion collective régulatrice et relations intergroupes ». Dans cette ligne de recherches, nous nous intéressons aux émotions collectives, c’est-à-dire aux émotions ressenties du fait de nos appartenances sociales (Branscombe, Slugoski, & Kappen, 2004 ; Wohl, Branscombe, & Klar, 2006) et à leur fonction régulatrice. Les émotions collectives peuvent être activées suite à la perception des événements sociaux menaçants tels que la pauvreté, le chômage, le réchauffement climatique, et le passé colonial. Nos recherches s’intéressent plus particulièrement à la manière dont les émotions collectives régulent les comportements sociaux et les relations intergroupes. Par exemple, comme le suggèrent notamment nos travaux récents, la culpabilité collective encourage des comportements de réparation et permet de rétablir des relations intergroupes plus apaisées (Bonnot et al. 2016 ; 2017). En revanche, la peur collective favorise des comportements de protection de son groupe (Wohl et al., 2011), promeut préjugés et discrimination et augmente le soutien des politiques répressives (Huddy et al., 2005). L’effet délétère de la peur collective réside dans le fait qu’elle influence le fonctionnement cognitif en rétrécissant le champ attentionnel des individus sélectivement vers le contenu menaçant (Eysenck et al., 2007). Cet effet attentionnel bien qu’adaptatif dans un environnement hostile peut détériorer la résolution des problèmes et nuire à la pensée divergente qui implique la génération et le traitement de plusieurs solutions possibles. Afin de poursuivre cette hypothèse qui pointe une des raisons du maintien du statu quo, il nous paraît pertinent d’examiner également l’impact de la peur collective sur des motivations épistémiques tel le besoin de clôture cognitive, ou la recherche/l’évitement des informations positives/négatives.

Toujours dans le contexte intergroupe, la seconde ligne de recherche s’intéresse aux effets bénéfiques des contacts entre les groupes sur l’anxiété dans le contexte de la gestion de la menace du stéréotype (Abrams et al., 2008). Ces recherches, amorcées lors du présent contrat, se proposent d’examiner l’impact des contacts intergroupes positifs sur la performance des individus cibles d’un stéréotype négatif/menaçant, et ce, dans un contexte interculturel. La menace du stéréotype désigne la crainte que peut avoir un individu, de confirmer le stéréotype négatif de son groupe par ses comportements ou ses performances. Nos études portent sur les personnes âgées et l’impact du stéréotype menaçant à leur égard. Nos études ont d’ores et déjà montré que les contacts positifs des « personnes âgées » avec les jeunes atténuent ou éliminent les effets néfastes de la menace du stéréotype sur leur performance (à des tâches de mémoire/rappel). En nous basant sur la littérature intergroupe, nous examinerons les processus sous-jacents et médiateurs de la performance tels que la re-catégorisation du soi, l’effacement des frontières intergroupes (ou perméabilité des catégories sociales), la modification de la métathéorie chez les personnes âgées, et en particulier la réduction de l’anxiété intergroupe. En effet, l’anxiété intergroupe semble jouer un rôle important chez les individus pour lesquels le soi collectif est rendu saillant (e.g., les individus à construction de soi interdépendante). Nos recherches comparent ces médiateurs à travers des cultures dites collectivistes et individualistes dans le but de généraliser ce phénomène peu étudié jusqu’ici. Compte tenu du « vieillissement » des sociétés qui touche des pays tels que la France et d’autres pays Européens, mais également des pays comme l’Indonésie, contrecarrer les conséquences négatives de la menace du stéréotype chez les personnes âgées est une question importante non seulement au niveau théorique (généralisation et l’identification des facteurs modérateurs) mais aussi au niveau appliqué (e.g., mettre en place des programmes à mettre en place pour éliminer ou atténuer les conséquences).

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