Axe 1 : Régulation au niveau du soi individuel

Ce premier axe se focalise sur les processus affectifs, cognitifs, et comportementaux qu’un individu met en place afin de répondre à des menaces/exigences/opportunités de son environnement social, au niveau du Soi personnel, incluant ses propres cognitions, ses souvenirs autobiographiques, ses croyances ou représentations du monde, ses attitudes, ses comportements, ses émotions, etc.

Nos recherches dans ce domaine concernent deux thèmes majeurs en psychologie sociale : le Soi et les émotions.  Les objectifs majeurs que l’individu cherche à atteindre incluent une perception de soi positive (e.g. se percevoir comme caractérisé par des attributs désirables, une perception de soi stable et moral), ainsi que l’évitement des émotions ou des situations négatives. Afin d’atteindre ces objectifs, un individu peut initier, entre autres, le processus de l’activation ou la construction des sois possibles biaisées, des comportements agressifs, de la résistance cognitive ou un renforcement, des changements d’attitudes, ou des comportements d’approche/évitement.

« Maintien du Soi désiré ». La motivation à se percevoir positivement constitue une des motivations fondamentales liées au Soi. La satisfaction de cette motivation et les modes de régulation associés seront examinés au travers de l’examen des Sois possibles, des comportements agressifs, et de la résistance cognitive ou du changement des attitudes et des évaluations.

Nous envisageons des recherches portant sur l’activation et la construction des sois possibles comme processus de régulation cognitive du maintien d’un soi positif. Ces processus sont déclenchés face à une information signalant une opportunité (i.e., information positive) ou, au contraire, une menace visant le Soi personnel. Par exemple, le fait d’apprendre qu’une certaine caractéristique mène au succès dans un domaine important pour un individu peut déclencher des processus liés au rappel stratégique de souvenirs autobiographiques (des comportements passés) qui permettent à l’individu de justifier une perception de soi comme possédant la caractéristique. Les recherches envisagées prolongent cette régulation en termes de construction et activation du soi futur ou le « Soi possible » (Markus & Nurius, 1986). Cette construction ou activation d’un soi possible aura un impact non seulement sur la perception de soi actuelle mais également sur les comportements actuels d’un individu. Ces comportements viseront à s’approcher d’un soi futur désirable et/ou, à s’éloigner du soi indésirable. Dans cette optique, nous souhaitons examiner les processus de la construction du soi possible (e.g. le contenu, la perspective utilisée lorsqu’on visualise le soi futur, le niveau d’abstraction ou ‘vividness’ du soi futur, cf. Sanitioso, 2008) par l’activation sélective des souvenirs autobiographiques (e.g., leur contenu, leur niveau de généralité).  En collaboration avec des membres d’autres laboratoires au sein de l’Institut de Psychologie (LMC et LATI), un financement ANR (en qualité de partenaire) pour réaliser un projet lié au soi possible a été récemment obtenu.

Des recherches sur le soi possible sont également entamées dans le contexte de comparaison sociale ascendante. Cette comparaison est souvent perçue comme menaçante et entraine des conséquences négatives chez un individu (e.g., une baisse de l’estime de soi, Muller & Fayant, 2010). Nos recherches examineront les conditions de l’interaction avec autrui qui entraine une activation d’un soi possible positif et peut donc amener la comparaison ascendante à être « inspirante » (vs menaçante). Dans ces travaux, nous nous focaliserons sur les éléments basiques de l’interaction sociale, les comportements interpersonnels d’approche et d’évitement. Ces comportements visent respectivement à réduire ou à augmenter la distance avec autrui (Strack & Deutsch, 2004). Ces recherches concernent donc l’étude des régulations du soi mises en place dans les rapports interpersonnels. A la base des rapports interpersonnels, le besoin d’appartenance est considéré comme un besoin fondamental (Baumeister & Leary, 1995). De ce fait, les informations sociales permettant l’affiliation avec autrui possèdent un statut particulier (ex : le regard d’autrui, les expressions faciales d’autrui, ses préférences exprimées, etc.). Nous examinerons donc les régulations sociales mises en place au sein de l’interaction au niveau cognitif et motivationnel. Nous adopterons une approche située et incarnée dans le but d’étudier les différents mécanismes responsables de ces effets. Un projet de recherche « sur terrain » vise à concevoir des interventions en milieu scolaire dont l’objectif est de transformer les comparaisons sociales menaçantes déclenchées par le contexte de classe en comparaisons sociales inspirantes.

Sur le plan comportemental, nos travaux montrent que la protection de l’image de soi peut passer par l’adoption des stratégies agressives. Étant donné la complexité des comportements agressifs, entre autres en ce qui concerne leur facteurs déclencheurs, les contextes de leur externalisation, ainsi que leur forme d’expression, nous avons adopté une approche théorique dichotomique permettant une correspondance conceptuelle entre la mesure et l’explication théorique des comportements agressifs, en d’autres termes sa régulation.  Cette approche dichotomique nous a permis d’étudier les réactions agressives considérées comme étant prototypiques, déclenchées automatiquement par des stimulations physiquement ou psychologiquement aversives sans signification en l’absence d’un contexte social lui donnant un sens. Dans le cadre de cette partie de nos travaux, nous avons mesuré le temps de réaction et son ajustement en fonction des feedback positif/négatif de type rétro-/proactif à différentes phases de préparation des actions faisant partie du répertoire comportemental reconnu comme étant agressif tel que pousser/tirer, serrer les poings, etc. Nos recherches ont porté aussi sur des réactions agressives dites stratégiques se manifestant même en l’absence de toute stimulation aversive, à partir du moment où le contexte social leur donne une signification, y compris pour profiter des opportunités qui se présentent. Ces travaux montrent que la présence d’un contexte socialement significatif (e.g., échec/succès personnel, présence d’armes à feu) peut modifier le traitement des informations sociales, aussi bien en ce qui concerne la perception de soi que la perception de l’univers social. Par la suite, nous avons essayé de comprendre par quel biais, ou processus ces choix se produisent. Les résultats de ces travaux ont montré l’implication directe des capacités cognitives exécutives, entre autres les capacités attentionnelles, ainsi que celles d’inhibitions et de planifications, ceci aussi bien dans un contexte anxiogène en laboratoire que sur le terrain. Les résultats relatifs à l’implication de ces processus supra-ordonnés, nous amènent naturellement à penser que le choix stratégique devrait être fondé sur une analyse logique du contexte social prenant en compte son caractère moral et normatif. Suivant cette logique, nous envisageons de continuer ces travaux en prenant en compte, ce qu’on peut appeler l’Idéologie Fondamentale de l’agression. Les premiers travaux déjà réalisés montrent que (a) la particularité de certains contextes peut modifier la vision du monde des enfants et des adultes (portant sur des éléments relatifs aux affects et aux comportements liés à leurs Théories Naïves) confrontés à des situations conflictuelles, ceci en termes de niveau de leur sentiment de justice, et que (b) l’activation contextuelle de certains principes moraux peut modifier le traitement de l’information sociale (e. g., jugement moral de certaines actions). La réalisation de ces mêmes études dans des contextes comparatifs (différentes populations de différentes cultures) fait partie des objectifs que nous visons dans le cadre du projet scientifique du laboratoire pour le prochain contrat quinquennal.

En effet, une des applications de ces analyses peut nous permettre de comprendre et d’expliquer le phénomène de Radicalisation Idéologique. Il nous semble que ce même type de processus de traitement d’information est impliqué dans le processus de radicalisation idéologique fondée sur la légitimation ou l’exécution d’actes violents dans le cadre de relations conflictuelles aussi bien au niveau interpersonnel qu’intergroupe, ceci afin de défendre ou restaurer l’image de soi ou l’image de l’endogroupe. Le processus de radicalisation a, en effet, été étudié comme une réponse à une perte de sens, un sentiment d’aliénation, d’humiliation, d’incertitude ou de menace lié à l’identité personnelle ou sociale (Kruglanski, Gelfand, Bélanger, Sheveland, Hetiarachi et Gunaratna, 2014 ; McGregor, Hayes et Prentice, 2015).

Les changements contextuels peuvent, dans certains cas, constituer pour un individu une violation des attentes concernant ses représentations du monde. Le processus est alors lié au sentiment de contrôle qui renvoie à une motivation primaire pour l’individu et le pousse à recouvrer du contrôle (Higgins, 2012). La violation des attentes d’un individu peut représenter une menace pour son besoin de contrôle, activant des processus de régulation adaptatifs ou non. Par exemple, si un individu est exposé à une information nouvelle remettant en question sa représentation du monde, il va questionner cette nouvelle information ou ajuster ses connaissances.

Des travaux sur le besoin de contrôle et sur la rupture de consistance cognitive (dissonance cognitive, Meaning Maintenance Model ; Heine, Proulx, & Vohs, 2006 ; et Associative–Propositional Evaluation ; Gawronski & Bodenhausen, 2014) examineront les conséquences de cette violation des attentes en termes de traitement de l’information (central vs périphérique) selon que le traitement cible un objet pertinent ou non dans la violation des attentes, ainsi que la nature des régulations selon les facteurs impliqués. Les différents modèles théoriques existants souffrent de lacunes quant à l’orientation de la régulation (Proulx, Inzlicht, & Harmon-Jones, 2012), et l’enjeu de ces travaux consiste ici à apporter des précisions en se centrant sur deux facteurs : la perception du changement et la résistance des cognitions. En effet, selon que cette violation soit perçue consciemment (e.g., une inconsistance entre attitude et comportement) ou non (e.g., un changement d’expérimentateur au cours d’une étude), les indices affectifs co-occurrents peuvent générer des régulations différentes. Perçus comme associés au changement contextuel, les régulations vont porter sur des réponses volontaires adaptatives (i.e., principalement assimilation ou accommodation), tandis que lorsque les indices affectifs sont identifiés comme indépendant du changement contextuel (i.e. misattribution), les individus vont adopter des réponses palliatives et chercher à réduire l’éveil émotionnel sans nécessairement réguler les cognitions ou les comportements associés à la violation. La résistance cognitive est quant à elle une variable ancienne dans la théorie de la dissonance cognitive (Vaidis, 2011) mais n’a pas fait l’objet d’une investigation approfondie au regard des modèles de la consistance.

Enfin, si de nombreuses études se sont centrées sur des réponses palliatives portant sur l’affirmation de valeurs morales, les travaux actuels sont axés sur la prise de risque qui constitue à la fois un enjeu social pertinent et une question théorique actuelle (Tan, Van Prooijen, Proulx, Van Beest, & Van Lange, 2017).

« Régulation cognitive et comportementale par des indices affectifs ». Dans cette ligne de recherche, nous entamons des études sur la régulation de la cognition et du comportement par des indices affectifs contextuels.

Un indice affectif peut être défini comme tout stimulus sensoriel contextuel engendrant une signification ou une charge affective (ou émotionnelle) et signalant une modification significative de l’environnement, une menace, un danger ou une opportunité, un défi ou la sécurité et qui requiert une réponse/une stratégie adaptée. Ces indices constituent des déterminants puissants du comportement social en influençant la manière dont les individus traitent l’information, forment des jugements et se comportent dans des situations sociales. Ces travaux s’inscrivent dans une approche écologique-fonctionnaliste du comportement social (Fiedler, 2014), considèrent la nature incarnée et située de la cognition (Smith & Semin, 2004) et soulignent le rôle des processus affectifs et évaluatifs dans la détermination du comportement social (Schwarz & Clore, 2007). Dans cette optique, nous visons à examiner entre autres les processus de réduction des préjugés. Ces préjugés sont souvent exprimés de manière latente et indirecte. Cette forme de préjugés est très liée aux réaction ou attitudes « implicites » négatives envers les membres du hors-groupe. Ces évaluations négatives d’autrui, bien que parfois exprimées de manière subtile en raison des normes sociales, influencent lourdement les interactions sociales. Celles-ci reposent sur des informations stockées en mémoire qui sont façonnées par les expériences passées avec les membres du hors-groupe. Ainsi, lors de contacts interpersonnels, des traces sensorimotrices extraites à partir d’une multitude d’indices sont intégrées et encodées en mémoire. Les comportements passés émis envers autrui sont donc des déterminants essentiels des préjugés. Au niveau basique, ces comportements interpersonnels peuvent être catégorisés en tant que réactions d’approche ou d’évitement envers autrui. L’approche et l’évitement sont définis respectivement comme une diminution ou une augmentation de distance. Ceux-ci sont fortement liés aux processus évaluatifs : les évaluations positives (négatives) activent de l’approche (évitement). Il est à noter que cette relation entre les réactions comportementales et les évaluations est bidirectionnelle : il s’ensuit qu’approcher un individu nous amènerait à l’apprécier. En effet, certains travaux montrent qu’approcher de manière répétée des membres de groupes évalués négativement diminue les préjugés. Un financement ANR a été obtenu (ANR ESPRIT, en qualité de porteur) afin d’étudier plus en détail l’impact de l’approche envers les membres de l’exogroupe sur la réduction des préjugés dans une perspective totalement incarnée et située. Ce travail repose sur des modèles de cognition incarnée et capitalise sur les dernières avancées technologiques de la Réalité Virtuelle ainsi que l’apport des mesures physiologiques.

D’autres travaux traitent plus spécifiquement du déclenchement de comportements d’approche/évitement et de la priorisation attentionnelle de stimuli affectifs. Il s’agira ici de spécifier comment ces processus basiques sont modulés par le contexte social afin de produire un comportement adapté. Dans cette optique, nous tenterons de montrer la modulation de la capture attentionnelle par des stimuli affectifs lors de l’expérience d’états affectifs, une prédiction issue de la théorie de la catégorisation émotionnelle mais qui n’a pas encore été testée. Nous examinerons également l’influence d’états affectifs aversifs sur l’amplitude du biais attentionnel envers des stimuli menaçants (par ex. : des armes) ou appétitifs (par ex : un dessert) en prenant en compte non seulement la valence des états affectifs mais également leurs caractéristiques fonctionnelles. Concernant les tendances comportementales, nous envisageons d’améliorer les paradigmes d’approche/évitement en s’appuyant sur l’approche de la cognition incarnée et située. Cela nous permettra d’avancer dans la conceptualisation théorique des tendances d’approche-évitement et examiner plus en détail les conditions opératoires de leur déclenchement. Enfin, nous poursuivrons nos travaux sur l’étude de la capacité de l’organisme à évaluer spontanément les stimuli dans le cadre de l’amorçage évaluatif (Fazio, Sanbonmatsu, Powell, & Kardes, 1986) en montrant comment celui-ci peut être amené à un contrôle stratégique afin de garantir sa flexibilité et par-là même son caractère adaptatif (Alexopoulos, Fiedler, & Freytag, 2012 ; Alexopoulos, Lemonnier, & Fiedler, 2017 ; Ihmels, Freytag, Fiedler, & Alexopoulos, 2016).

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